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  TRIBUNE
Inauguration du monument aux morts de La Rochelle

 



Par Claire Maingon

 

Joachim Costa, un sculpteur de la génération du feu

 
Né en 1888, Joachim Costa appartient à cette génération d’artistes cruellement meurtrie par la Grande Guerre. Jean Cassou parla de « génération sacrifiée » pour évoquer ces jeunes, encore idéalistes, versés dans l’horreur de la guerre. Comme tant d’autres, Joachim fut mobilisé dès 1914. Le jeune artiste avait déjà fait un an de service militaire et connaissait la routine des casernes. Sa mobilisation avait empêché son retour à  l’Ecole des Beaux-Arts et son entrée dans la carrière. Au lieu d’être délivré du Service, Costa fut envoyé sur le front où il remplit les fonctions de caporal, puis de sergent. Valeureux combattant de la Marne, il fut décoré de la Croix de guerre au nom de ses actions héroïques.
L’expérience de la Grande Guerre fut, sans aucun doute, un lourd traumatisme que porta cette jeunesse en devenir. A l’inverse des aînés comme son maître Jean Boucher qui participa aux grandes batailles de Verdun, la génération dont Joachim Costa faisait partie n’avait pas encore bâti sa réputation, ni fondé de famille au moment de leur engagement dans la Grande Epreuve. Lorsqu’ils rentrèrent de leur pénible labeur, en 1919, il fallut se créer une place sur la scène artistique de leur temps. Les Salons étaient encore à cette époque des pivots essentiels du commerce et de représentation statutaire des peintres et sculpteurs. L’activité des Beaux-Arts était en pleine relance et le Salon académique des Artistes Français exposait sur ses cimaises d’innombrables figures de militaires et une véritable marée de monuments aux morts. La France était plongée dans les exigences de la commémoration nationale et du deuil patriotique. Costa se rallia au Salon d’Automne, le plus en vue des Salons d’art, que fréquentaient beaucoup de jeunes artistes indépendants. En 1920, Joachim Costa y exposa une pièce maîtresse : son Poilu qui remporta un vif succès.
La figure monumentale en plâtre du Poilu, coulée en bronze pour le monument aux morts de la Rochelle, exprimait une nouvelle vision du combattant. Elle s’opposait aux imageries d’Epinal, ces poilus d’opérette qui étaient le plus souvent exposés dans les Salons officiels et illustrés dans les journaux de l’époque. La figure de Costa, « synthétique et roide »1, coiffée du casque et enveloppée dans son chandail et sa capote, incarnait le soldat ultime. « Son poilu carré et massif dans sa peau de mouton, sur un socle bas que décore une frise de figures largement traitées, est d’une allure monumentale, voulue et expressive »2, résumait Paul Vitry dans Art et Décoration. Cette sincérité tenait à la personnalité de l’artiste et à son vécu du front. L’œuvre, par sa forme volontairement épurée et synthétique, marqua durablement les esprits. Emmanuel de Thubert se souvenait avec émotion de l’exposition de cette sculpture. « La statue de Costa dominait jusqu’aux meilleurs envois de ce Salon, tant l’inspiration en était haute, et la plastique, pleine ; elle me toucha d’autant plus que je sortais de la guerre, où j’avais fait besogne de poilu ; j’étais donc tout imprégné de la grandeur et de l’humilité qui nous furent coutumières, et je m’indignais que les statuaires nous montrassent au-dessous de nous-mêmes »3.

Joachim Costa réalisa également une autre figure de Poilu insérée dans le monument de Pézenas conçu par l’architecte Jean Béraud en 1925. Elle fut exposée au Salon d’Automne de 1922 (n°557).
Ces deux œuvres de Joachim Costa incarnent le renouvellement d’une imagerie longtemps confinée à l’anecdote. Avec l’œuvre manifeste d’un autre expressionniste de la génération du feu, La Guerre(Paris, MAMVP) de Marcel Gromaire exposée au Salon des Artistes Indépendant de 1925, les deux Poilu de Costa font figure d’exception dans le paysage iconographique de la Grande Guerre.

1 SOUBEYRE, 1e juin 1920.
2 VITRY, 1920, p.177, cité dans RINUY, 1990, p.295-307.
3 THUBERT, 1925.

L'auteur de cet article: Claire Maingon, est docteur en histoire de l'art et auteur d'une thèse intitulée "Les Salons du rappel à l'ordre, Paris 1914-1925 : des Artistes Français aux Artistes Indépendants".


 

 


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